DR JOSEPH KREIKER
Membre du conseil exécutif de la Ligue maronite
Nul ne peut décrire ou embrasser en quelques lignes tous les tenants et les conséquences des crises libanaises qui, depuis plus d’un siècle, empêchent le Liban de se construire en une nation harmonieuse pacifique.
Assassinats politiques innombrables, terrorismes effrénés, boucherie politique, guerres civiles et régionales… Le Liban a connu toutes les ingérences venant de l’extérieur vers l’intérieur ; elles ont pu s’infiltrer à travers nos dissensions confessionnelles, politiques, culturelles, économiques. Le comble de l’hypocrisie est que tout le monde appelle à la non-ingérence et en réalité tout le monde le fait.
C’est au nom de la morale et de la solidarité internationale que nous avons toujours soutenu et avons participé à l’action et à l’ingérence humanitaire. Selon Jean-Francois Revel, ce concept recouvre diverses interprétations : néocolonialisme, un droit du fort sur le faible, une prévention des conflits, un viol des souverainetés des États, etc. tous ces épithètes s’appliquent au Liban.
Depuis qu’un parti libanais a inversé le sens de l’ingérence en allant guerroyer sur le sol d’autres pays, cela est devenu intolérable et le monde s’insurge. Pas étonnant comme réaction.
En véritables acrobates, les responsables libanais dotés d’une grande agilité au plan des pratiques équilibristes tentent de surmonter la crise en réveillant une innovation qui, en arabe, a une connotation métaphysique : « La distanciation de l’âme » ; cette notion n’empêche pas que des corps sans âme, mais avec des armes, puissent se balader partout où il veulent et dans le sens qu’ils veulent.
Créer une distance entre soi et la réalité relève de l’aveuglement et d’une politique de l’autruche qui enfonce son nez dans le sable ; nous vivons au cœur d’un chaudron, d’une région en pleine ébullition et en pleine mutation géopolitique ; notre stabilité sécuritaire relève non seulement du miracle mais surtout d’une volonté humaine de mettre notre pays à l’écart des secousses meurtrières ; une volonté intérieure fort louable d’éviter les violences, et d’une décision internationale et régionale de ne pas déstabiliser le Liban. Ni agressé ni agresseur, voilà un peu la case dans laquelle on souhaite placer le Liban. Est-ce possible dans le contexte géopolitique régional et local ?
De quel lendemain pouvons-nous rêver ? Palestine occupée, Jérusalem arrachée aux deux religions monothéistes. Syrie, Irak, Yémen, Liban, pris en étau entre deux mastodontes, l’Iran et l’Arabie saoudite. Minorités balayées par le conflit sunnito-chiite. Deux millions de déplacés syriens et un demi-million de réfugiés palestiniens modifieront tout le panorama démographique, social, politique, économique et sécuritaire du Liban.
Il est temps que ces peuples, dont la dignité est bafouée, retrouvent leurs droits dans leurs pays et cessent de prendre le Liban pour pays de rechange. Aucun des pays arabes responsables de leurs misères ne les acceptent sur son sol.
Le Liban survivra, mais les citoyens libanais que deviendront-ils ? Morts, handicapés, expatriés et survivants ? Cent ans d’histoires pour aboutir à un pays déchiqueté et à plus de dix millions de nos citoyens éjectés hors de leur terre natale. Quel gâchis !
Pour certains rêveurs, la voie du salut passerait par une action conjuguée de la société civile active et de la diaspora dans un contexte de statut de neutralité avec une garantie internationale de l’ONU.
La neutralité serait un acquis formidable et nous ouvrirait tous les horizons : protection de la souveraineté, essor économique, respect mutuel de la diversité, de l’unité, de la stabilité et de la sécurité de notre pays. Elle nous permettrait d’entretenir d’excellentes relations avec tous les pays amis du monde entier, et particulièrement les pays du monde arabe, à l’exception d’Israël ; le Liban ne sera jamais neutre face au conflit israélo-palestinien et face à l’occupation israélienne de nos territoires au Liban-Sud.
La Suisse n’est pas seulement une nation, elle est aussi un bunker surarmé. Chaque citoyen suisse a l’âme d’un soldat. Dans le cadre de la construction de l’Union Euro-Méditerranée, une Suisse sur la rive est de la Méditerranée me paraît indispensable.
La démission du président du Conseil des ministres et les conditions de son retour sur cette démission constituent une véritable avancée qui placerait éventuellement le Liban sur la voie du sauvetage. La diplomatie française soutenait une solution politique qui accorderait aux responsables politiques une totale liberté de mouvement et le respect de la non-ingérence comme principe de base. Il découle de cette position l’apparition d’un consensus politique local (plus large) et international (plus déterminé) qui ouvrirait la voie vers la neutralité.
La vérité nous éblouit. Il faut avoir le courage de la regarder en face et je rappelle ce que disait Albert Camus : « La vérité, comme la lumière, aveugle, le mensonge, au contraire, est un beau crépuscule qui met chaque objet en valeur. »
Sortons de nos mensonges pour construire l’avenir de tous les Libanais dans un véritable pays « message du dialogue entre les religions », du vivre ensemble dans le cadre d’une neutralité, garantie par un consensus interne et une couverture internationale.
L’orient le jour
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6/01/2018